Solo de piano (Yoko Miura), solo de saxophone soprano (Gianni Mimmo) et duo piano saxophone. Un concert réussi à la Fondazione di Piacenza et Vigevano le 5 novembre 2022. La pianiste Yoko Miura vient annuellement en tournée en Europe (France, Belgique, Suisse, Finlande, Italie, Grande-Bretagne) et y rencontre des improvisateurs : Ove Volquarz, Jean Demey, Jacques Foschia, Gianni Mimmo, feu Teppo Hauta-Aho, Janne Tuomi, Charlie Collins, Lawrence Casserley, Jean Bordé, et moi-même et cela depuis plus d’une douzaine d’années. Elle ajoute à son jeu épuré et gracieux, des passages au mélodica. Elle propose ici une dimension mélodique et des dissonances subtiles avec un superbe toucher et une coordination main gauche – main droite originale. Un remarquable dosage des accents, des silences, des résonnances, crescendo de faible amplitude, répétitions d’intervalles polytonaux, réitération de fragments mélodiques qui s’emboîtent ou se déboîtent. Une musique hiératique remarquablement construite avec des structures minimalistes dédiée ici à son ami Teppo Hauta-Aho, une sommité de la contrebasse et un compositeur contemporain important en Finlande auquel Braxton a fait appel pour diriger son orchestre. Un peu de Moussorgsky, peut être. Elle a adopté cette démarche après avoir été victime d’un terrible accident qui l’a laissé inanimée et l’a poussée à reconsidérer son apprentissage du piano, la direction de sa musique et sa propre voix. Gianni Mimmo sort tout droit de l’école Steve Lacy et démontre ici l’intensité lyrique de son souffle admirablement fluide, calibré et structuré, profondément chaleureux et timbré révélant à merveille l’expressivité sonore spécifique de ce saxophone droit, « conique » difficile à maîtriser. Il compte parmi les spécialistes les plus remarquables de l’instrument, lequel sert souvent d’instrument d’appoint pour nombre d’autres saxophonistes. Sa performance solo emprunte à ses thèmes à Monk, Mingus, Jimmy Rowles et de lui-même sans un Turning Page Medley. Ancrée dans le jazz contemporain le plus classe, sa sonorité solaire méditerranéenne et son pendant lunaire illuminent la salle du concert et le public. Il revisite ces compositions avec une belle inspiration et des apartés et de subtils « extempore », aussi puissants que délicats. Évidemment, on songe immédiatement à Steve Lacy duquel il se rapproche irrésistiblement, avec sa magnifique sonorité et cette précision. Mais, une fois le duo rassemblé, c’est une autre facette de sa personnalité qui, bien que basée sur l’expérience lacyenne, le singularise, avec ses notes tenues, ses montées dans l’extrême aigu bien au-dessus du registre normal du soprano au moyen de larges et subtils intervalles, basées sur une complexe superposition d’harmonies dont il sélectionne adroitement chaque note avec une précision et un lyrisme magnifique. Jouer ainsi n’est pas donné à tout un chacun qui possède un sax soprano. Et le duo atterrit dans une version libre de Round about Midnight, signée Thelonious Monk et Cootie Williams, et incluse dans la suite Further towards the Light et dont je peux résister à vous confier les paroles signées Bernard Hanighen :
It begins to tell
'Round midnight, midnight
I do pretty well, till after sundown
Suppertime I'm feelin' sad
But it really gets bad
'Round midnight
Memories always start 'round midnight
Haven't got the heart to stand those memories
When my heart is still with you
And ol' midnight knows it, too
When a quarrel we had needs mending
Does it mean that our love is ending
Darlin' I need you, lately I find
You're out of my heart
And I'm out of my mind
Let our hearts take wings'
'Round midnight, midnight
Let the angels sing
For your returning
Till our love is safe and sound
And old midnight comes around
Feelin' sad
Really gets bad
Round, Round, Round Midnight
Chapeau bas pour le beau « comping » réalisé par Yoko Miura, le son profond et le balancement de ses notes graves, son détachement un peu hiératique et ses idées sorties tout droit de la « lettre » monkienne et distillée adroitement dans une autre logique. Ce n’est pas « la révolution esthétique », mais c’est un album superbe d’une plénitude significatrice, émotion, sensibilité, recueillement, élan apaisé... Une fois le spectre de Round Midnight évanoui, le lyrisme de Gianni Mimmo fait encore merveille avec une autre structure polymodale face à l’obstination épurée des ostinato cristallins légèrement mouvants de Yoko Miura. Comme Steve Lacy s’en est allé il y a déjà presque vingt ans, n’ayons plus aucun scrupule à ressentir du plaisir, à jouir de la gâterie musicale distillée par cet admirable enregistrement.
PS Le duo de Yoko Miura et Gianni Mimmo a déjà enregistré Departure (Setola di Maiale) et Live at L’Horloge avec le batteur Thierry Waziniak (Amirani), ainsi qu’un album avec Ove Volquartz , Air Current (Setola di Maiale), une discographie en crescendo couronnée par ce magnifique Zanshou Glance at The Tide. Félicitations à Setola di Maiale et à l'infatigable Stefano Giust.